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~ Quand la Tempête t'emporte, épouse le Chaos ~
2 janvier 2005

Le Fossé


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On était trop pauvre pour avoir un tremblement de terre.


Remarque anodine au milieu d'une conversation. Le jour de l'an, c'est le moment propice pour faire remonter les vieux souvenirs. Évoquer cette époque où on avait encore quelque chose en commun pour éviter de prendre pleinement conscience du fossé qui se creuse entre nous.

J'adore ma famille, n'allez pas croire le contraire. J'aime chacun des membres comme une part de moi-même. Mais à chaque année qui s'écoule, à chaque grande réunion, je me dois de constater que les morceaux s'éparpillent.

J'ai voyagé vers eux, emplie d'une impatience de gamine, d'une envie de les voir qui bouillonnait littéralement.

Après le repas, j'ai déjà hâte de partir. La froideur des échanges, la superficialité des conversations, le malaise qui se dégage de tous les individus présents me met en rogne. Le Grand Mal des rencontres biannuelles a gagné ma famille. Trop longtemps perdus de vue, nous nous retrouvons étrangers sans la candeur de notre enfance pour franchir la Grande Fosse. Des expériences différentes, des libertés et des réalités
diamétralement opposée, des visions du monde qui s'entrechoquent, j'avale ma salive devant certains propos afin d'éviter de leur cracher à la gueule. J'ai de ces réactions impulsives que je me dois d'apprendre à contrôler. Je me rabats sur ma coupe de vin, espérant avoir avec elle une conversation moins tranchée. Mon monde à moi n'est pas tout noir ou tout blanc. Ma coupe est rouge.

Je me raccroche à mon frère, figure de proue de mon enfance et pillier de ma vie adulte, afin de ne pas céder aux pulsions qui me poussent à quitter la table sans plus de cérémonies et à n'y pas revenir.. Le temps est clément, je pourrais parfaitement sortir et aller me balader, loin de ces inconnus pour qui la taille des pièces d'une nouvelle maison compte plus que l'âme qui l'habite. Mais je m'accroche aux souvenirs lumineux d'une jeunesse pas si lointaine où le simple bonheur de se retrouver était suffisant pour qu'éclatent tous les a priori et autres peurs occidentales.

Mon calvert s'amenuise lorsque, repus, nous nous dirigeons dans "la pièce familiale" pour admirer un sapin de 11 pieds (environ 3,5 mètres, amis lecteurs d'outre-atlantique), presque entièrement recouvert de paquets, sacs.. C'est une année d'abondance, les yeux brillent, la curiosité tiraille tout un chacun. Je me cale au fin fond d'un immense canapé moelleux, barricadée sous les coussins. L'atmosphère se détend au rythme du papier d'emballage qui s'arrache et des papiers de soie qui virevoltent. Une bataille rangée éclate même et les boulettes rouges et vertes se croisent allègrement. C'est à qui atteignera sa cible le plus discrètement.

C'est à ce moment-là que le Père Noël est vraiment passé.

Pas à cause des cadeaux, même s'ils étaient tous plus agréables les uns que les autres. Juste parce qu'en sortant de la pièce familiale, les gens se souriaient. Sincèrement. Pas de ces sourires empruntés qui se croisaient maladroitement depuis le début de la soirée. Pas de ces sourires de mannequins qu'on échange quand un Mais c'est du n'importe quoi ! fuse par sa volonté propre au milieu d'une conversation qu'on voulait gommée et aseptisée afin d'éviter de heurter les sensibilités et les susceptibilités. Plutôt de ceux qui expriment la vraie chaleur humaine. De ceux qui donnent envie d'échanger des câlins. Ou de rigoler pour des riens.

À 5h, rompus, heureux, les gens ont rejoint leur rêves.

Décidé, l'année prochaine, j'emmène des provisions de papier de soie.


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Commentaires
M
Un royaume de papiers de soie pour un peu de fraîcheur :o)
M
Un déclic pour retrouver un peu de la candeur manquante..
~ Quand la Tempête t'emporte, épouse le Chaos ~
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