Tableau de chasse
Elle l'observe, à travers le mouvement et le bruit, ancre son regard à lui chaque fois que l'amas de corps disparaît. Chaque fois, elle le perd de vue une fraction de seconde et, chaque fois, elle panique.
Se noie.
D'abord la lumière l'a attirée. L'intérêt graphique des stroboscopes. Puis elle a vu la foule, massée près des portes. Elle a su qu'elle avait déniché le parfait terrain de chasse, pour ce soir. Appareil en main, elle est entrée, sans hésiter.
Hésiter, c'est mourir un peu.
Ses mains réagissent plus vite que ses yeux. Virevoltent, règlent l'ouverture et la vitesse. Elle prend le pouls, attend la bonne pulsation. Pointe, vise. Et shoot. Elle les épingle. Nul doute. Ses premiers essais lui plaisent.
Plaire, c'est mourir un peu.
Sa dernière proie : une mante religieuse aux cheveux rose. Après... Tout juste après (elle le jure, l'image de sa victime encore imprimée sur sa rétine le prouve), il traverse le cadre. Le souffle court, elle éloigne son œil du viseur. Son œil, qui ne peut supporter que du verre le sépare de cette vision, il veut se rapprocher de ces yeux verts entr'aperçus, se rapprocher de ces lèvres pleines, de ce front haut, se rapprocher de cette peau blanche, électrique.
Se rapprocher, c'est mourir un peu.
Il l'observe, à travers le mouvement et le bruit de l'eau. Ses tympans encore alourdis de décibels n'entendent pas les cris étouffés. Aucun sourire sur ces lèvres pleines, alors qu'il regarde les bras qui se tendent, impuissants, sous la lueur de la lune. Douce lumière. Elle flatte tout particulière ces bras qui la maintiennent sous l'eau. Ses bras à elle, ses bras à lui.
Appartenir, c'est mourir un peu.
Portishead ~ Theme from to kill a dead man